De lumière, de son et d'âme
Traduction de Lina Bouali, Marseille, novembre 2024, d’un texte de Oluremi C. Onabanjo, Harlem, New York, november 2024
Nous sommes le second jeudi de janvier et Lita Cerqueira est au cœur de l’agitation. Elle a rejoint dès l’aube l’impressionnant cortège partant de la Basílica do Nossa Senhora da Conceição da Praia. Arpentant lentement la ville de Salvador, le défilé fait déborder ses rues pentues. Jeunes ou plus âgés, touristes ou locaux, ils se dirigent tous ensemble d’un pas sûr vers le site héraldique de l’Igreja Nosso Senhor do Bonfim, un trajet de huit kilomètres de long. La foule vibre de joie et d’insouciance, pleine d’espoir pour l’année qui s’annonce. C’est le jour du Lavagem do Senhor do Bonfim, une célébration en l’honneur d’Oxalá et de Jésus Chris, où sont dispensés à la fois les principes du Candomblé et du Catholicisme. À Bahia, ces deux spiritualités ne sont ni en opposition ni en compétition. Au contraire, elles cohabitent en harmonie et sont animées d’un même souffle dans l’esprit et l’âme de milliers de fidèles.
En véritable soterapolitana, Cerqueira était une figure récurrente de cet évènement au cours des dernières décennies du vingtième siècle, composant des images sophistiquées où se mêlent participants et observateurs. Chacune de ses photos est une expérience à la fois sensorielle et spirituelle. Chaque image est modelée par sa perspective intime et sensible. Plutôt que de se tenir à distance de son sujet, elle choisit de faire corps avec la procession pour la capturer de l’intérieur, prenant des photos tout le long de la déambulation. Un jeune homme tient un étalage de plantains mûres et sucrées — et observe du coin de l’œil pendant que l’excitation générale gronde autour de lui. Un homme à barbe fend la foule au centre d’une avenue, son chapeau de paille pareil à une auréole de lin. Le regard jeté au lointain et la bouche légèrement entrouverte pour maintenir son impressionnante pipe.
Les voilà les baianas, sans qui Bahia et le Lavagem n’existeraient pas. Ces femmes noires sont de redoutables forces économiques, des leaders spirituelles et des icônes de photographie. C’est à travers chacun des plis de leurs turbans, chacun des délicats œillets de leurs chemisiers en dentelle, ou encore dans le pendant de la corde de leurs elekes, que ces femmes témoignent des marques laissées par l’esclavage urbain au Brésil ; mais aussi des prodigieuses possibilités de l’économie de rue de Salvador, ainsi que du potentiel insurrectionnel des communautés spirituelles de ce côté de l’Atlantique. Elles constituent une puissante synecdoque de la féminité noire au Brésil. La sensibilité accrue de la caméra de Cerqueira expose cette charge symbolique en dévoilant avec justesse les gestes et les expressions de ces femmes.
Une baiana se tient droite, parfaitement positionnée au centre de l'image. Alors qu'elle tient une imposante jarre en argile sur sa tête pleine de fleurs, des gouttes d'eau perlent le long de ses bras et de son visage. Une autre baiana est photographiée en contre-plongée, portant habilement un éblouissant vase d’argent en équilibre sur son crâne. Lui aussi gorgé d’eau, des chrysanthèmes blancs en jaillissent. Un jardin fleuri en guise de couronne - ses pétales blancs élancés vers le ciel. Le regard déterminé qui porte au-delà du cadre. Peut-être aperçoit-elle enfin la pente finale, celle qui mène vers les marches de l'église qu’elle lavera.
Un parfum d’eau de lavande sature l’air. Le tintement des bracelets, une addition mélodique aux tambours batuque. Les chants sont d’abord entamés d’une seule voix en a capella, puis sont spontanément repris à l’unisson. Un groupe de Baianinhas attend son tour pour se nettoyer. Elles grimacent, boudent et froncent les sourcils. Des petites filles qui ont marché longtemps et loin, tenant des bouquets simples, composés de pâquerettes et de gypsophiles. Dans le coin gauche du cadre, Cerqueira croise le regard d’une enfant qui commence à saisir la signification du chemin parcouru. Elle a posture régalienne et un vase de fleurs fermement posé contre sa poitrine. Elle est une baiana en devenir, déjà si remarquable et d’une beauté indéniable.
Les images de Lita Cerqueira illustrent parfaitement l’héritage riche et complexe de la diaspora africaine. Elle examine le décalage, entre distinction et connexion, avec son propre langage visuel.À travers ses clichés, Bahia s’offre à nos yeux autant qu’à nos sens. Les sujets de Cerqueira ne sont jamais de simples figures figées de la côte ouest-africaine copiées-collées de l’autre côté de l’océan. Ce sont les protagonistes actifs d’une ville primordiale de l’Atlantique Noire. C’est Salvador. C’est Bahia.
Traduction de Lina Bouali, Marseille, novembre 2024, d’un texte de Oluremi C. Onabanjo, Harlem, New York, november 2024





